S’il convient de distinguer, chez Kant, la philosophie transcendantale et la théorie de l’histoire, un préjugé tenace voudrait que cette dernière soit de moindre importance et, de fait, dissociable de l’étude des fondements et des limites de la connaissance. C’est cette lecture de Kant que nous entendons ici discuter. D’une part dans la mesure où l’étude des conditions premières de la connaissance est sensiblement déterminée par l’attention portée par Kant à l’actualité. Pour cette première raison, on peut parler d’une véritable signification historique du criticisme. Mais ce n’est pas tout. Car si l’esprit de la Critique est bien l’esprit des Lumières, les questions ouvertes par Kant dans ses trois œuvres maîtresses peuvent, en outre, être envisagées comme autant d’élaborations philosophiques des problèmes que l’Europe politique en voie de construction se voit mise en demeure de résoudre.
Une opinion largement répandue voudrait que la vérité de Kant soit celle des trois grandes Critiques. Or, cette vision du kantisme a le plus souvent pour corrélat la relégation des textes consacrés à la politique et à l’histoire, réputés moins importants. La lecture de Kant opérée ici débouche sur une tout autre conclusion. Non seulement la question de l’histoire n’est en rien mineure, mais elle est engagée dans les problèmes et les concepts qui définissent le criticisme. De sorte que, loin de se borner à penser l’actualité c’est bien l’avenir que Kan s’évertue à interroger… L’avenir et donc le sens même de l’histoire. L’avenir et la question de l’Europe, de son identité et de sa destination. Kant prophète ? Pourquoi pas si le criticisme travaille bien à rassembler les éléments d’une authentique histoire philosophique de la modernité et si la philosophie kantienne marque la naissance de ce qu’il convient de nommer une « europhilosophie ».